« Démystifier l’incorporation » : un webinaire pour les femmes entrepreneures francophones.

Désintérêt, méconnaissance de cette forme juridique ou manque d’accompagnement des femmes dans leurs démarches d’incorporation ? La discussion était ouverte mercredi 28 octobre 2020. Sous la houlette de Tania Saba (fondatrice et titulaire de la chaire BMO en diversité et gouvernance de l’Université de Montréal et directrice du Pôle Québec et Communautés francophones du Canada du Portail de connaissances pour les femmes en entrepreneuriat (PCFE)), qui animait ce webinaire, les panélistes ont partagé leurs expertises, expériences et conseils.

Démystifier l’incorporation pour les femmes entrepreneures : une urgence.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : qu’elles soient dirigeantes d’entreprises ou travailleuses autonomes, les femmes entrepreneures (13,3% des femmes au Canada) sont fortement représentées dans des microentreprises (à près de 93%) dont 78% n’ont aucun employé.

C’est justement pour informer ces femmes que le Portail de connaissances pour les femmes en entrepreneuriat (PCFE) a réuni un panel d’expert.e.s composé de deux intervenantes du cabinet EY que sont Yen Bui (Associée déléguée au cabinet de services professionnel privé EY) et Stéphanie Brouillard (Avocate et chef d’équipe chez EY Cabinet d’avocats) qui ont discuté des aspects juridiques et fiscaux d’une société par actions, ainsi que de responsables d’organismes de soutien à l’entrepreneuriat féminin représentés par Payam Eslami (Directeur général chez Entreprendre ici) et Jacqueline Bazompora (Responsable de formation et de développement des compétences à Microcrédit Montréal) qui ont évoqué les besoins et l’accompagnement des femmes sur le terrain. Enfin, Karima-Catherine Goundiam (Présidente directrice générale Red Dot Digital et fondatrice et présidente directrice générale de B2BeeMatch), Julie Hubert (Chef de l’exploitation à Workland) et Salamane Yaméogo (Fondateur et directeur général d’Andertak Corp.) ont tous trois partagé leurs expériences de dirigeant.e.s d’entreprise, les démarches, les écueils et les choix qui les ont amenés à opter pour l’incorporation.

Démystification des aspects légaux et juridiques de l’incorporation.

Premières à intervenir sur le sujet, Stéphanie Brouillard et Yen Bui ont appuyé la réflexion en apportant de précieuses informations légales et juridiques pour éclairer le choix du mode d’exploitation d’une entreprise. 

Considérations d’ordre juridique d’une société par actions.

Comme l’a rappelé Stéphanie Brouillard, il existe au Québec 4 modes d’exploitation des entreprises que sont l’entreprise individuelle (pour les travailleurs autonomes), la société de personnes (lorsque plusieurs personnes décident d’exploiter ensemble une société), la fiducie (ce mode d’exploitation est plutôt rarement utilisé et surtout pour des planifications d’ordre fiscal) et enfin, la société par actions.

Chaque mode d’exploitation offre son lot d’avantages et d’inconvénients. Une comparaison entre l’entreprise individuelle, qui reste encore le mode d’exploitation privilégié par les femmes entrepreneures au Canada, et la société par actions, qui est le mode d’exploitation le plus courant dans le pays, met en lumière les points suivants :

Comparaison entre l’entreprise individuelle et la société par actions

Entreprise individuelle

Caractéristiques

  • Une entreprise individuelle correspond à l’exercice du travail autonome et décrit une situation où les actifs personnels de l’unique propriétaire et ceux de l’entreprise ne font qu’un.

Avantages

  • Peu de formalités administratives à l’exception de l’immatriculation de l’entreprise si elle n’est pas exploitée sous le nom propre du propriétaire et de l’enregistrement pour les taxes de vente auprès de Revenu Canada si les recettes dépassent 30 000 dollars.
  • C’est également le mode d’exploitation le moins cher à réaliser.

Inconvénients

  • Par contre, c’est le mode d’exploitation le plus risqué en termes de la responsabilité puisque le dirigeant et son entreprise ne font qu’un et tous les biens personnels peuvent être saisis par les créanciers.
  • Ce mode d’exploitation offre également moins de flexibilité.

Société par actions

Caractéristiques

  • Une société par actions est une personne morale distincte de l’actionnaire dirigeant.

Avantages

Les avantages sont multiples:

  • Meilleure crédibilité car l’entreprise est publiquement inscrite aux registres gouvernementaux.
  • Financement plus facile et plus flexible.
  • Protection des actionnaires car leur responsabilité personnelle est limitée à la valeur de leurs actions.
  • Perpétuité des activités qui peuvent être menées même après le décès du dirigeant.
  • Possibilité de partager les revenus de la société par actions.
  • Possibilité d’accumuler les revenus et de les utiliser plus tard.
  • Réduction d’impôts à payer.
  • Flexibilité au niveau des planifications fiscales.

Inconvénients

  • Par contre, le fonctionnement est plus complexe aussi bien en termes comptable, fiscal, administratif (paperasse additionnelle) et la structure interne est plus lourde.
  • Les frais de constitution et de fonctionnement sont également plus élevés.

Conseils pratiques

  • Envisagez toutes les situations possibles dans la convention entre actionnaires dès le démarrage avec l’aide d’un avocat ou d’un notaire.
  • Pensez à avoir différentes catégories d’actions pour octroyer des droits différents selon les types d’actionnaires.

Considérations d’ordre fiscal d’une société par actions.

Le système fiscal canadien est régi par le principe d’intégration. En effet, celui-ci « est conçu de manière à ce que la charge fiscale totale de la société et de l’actionnaire-dirigeante soit approximativement égale à la charge fiscale que l’entrepreneure aurait eu si elle avait gagné ses revenus directement », comme l’indiquait Yen Bui. Dans les faits, le taux d’imposition des sociétés est généralement plus faible que celui des particuliers. C’est pourquoi, lorsqu’une entrepreneure considère constituer son entreprise en société par actions, il est opportun qu’elle se pose quelques questions pour l’aider dans sa réflexion. En effet, il devient avantageux d’exploiter une société par actions lorsque l’actionnaire dirigeante laisse les fonds dans la société et ne les prélève pas pour ses besoins personnels, réinvestit, par des dépenses ou des emprunts, ou encore envisage de vendre en tout ou partie son entreprise afin de bénéficier d’une déduction d’impôts.

À noter que le plafond des affaires pour les petites entreprises se situe à 500 000 dollars, ce qui signifie que le taux d’imposition pour les petites entreprises s’applique sur les premiers 500 000 dollars de revenus imposables dans une année.

Constitution en société et cheminement

Si au terme de ces considérations juridiques et fiscales l’entrepreneure est prête à s’incorporer, il est bon de connaître les grandes étapes de constitution en société et son cheminement :

  • Choix de la juridiction (provinciale ou fédérale) et de la dénomination sociale.
  • Choix du fond de roulement pour débuter l’exploitation de l’entreprise.
  • Rédaction des statuts constitutifs, nomination des administrateurs et autres exigences administratives.
  • Si l’entrepreneure exerçait déjà avant en tant que travailleuse autonome, elle devra effectuer un transfert de ses activités vers la nouvelle société par actions.
  • Mise en place d’une convention entre actionnaires pour régir l’intégration de nouveaux actionnaires à mesure que la société s’accroît.
  • Retrait d’un actionnaire qui induit l’achat ou le rachat d’actions.
  • Vente de l’entreprise par le processus de radiation puis de liquidation ou de dissolution de la société.

Le travail de démystification sur le terrain par les organismes de soutien à l’entrepreneuriat : quels sont les besoins exprimés par les femmes et comment les aider ?

Les organismes de soutien à l’entrepreneuriat féminin, par le biais de leurs deux représentant.e.s, se sont faits l’écho des réalités sur le terrain des femmes entrepreneures. Première à prendre la parole, Jacqueline Bazompora a indiqué que les frais de constitution élevés ainsi que la lourdeur de la paperasserie administrative découragent très souvent les femmes à s’incorporer. Même son de cloche chez Payam Eslami qui ajoute que les femmes entrepreneures sont dépassées dans leur quotidien où elles gèrent le marketing, les ressources humaines, et autres fonctions nécessaires au développement de leurs activités. Ne disposant pas de l’information nécessaire, ne sachant ni par où commencer ni à quelle porte cogner, elles n’entament pas les démarches d’incorporation. Puis d’ajouter que rien qu’au Québec, « on compte plus de mille organismes qui aident les entrepreneur.e.s » mais les femmes entrepreneures « ne les connaissent pas et ne les utilisent pas ». Tous deux mettent l’accent sur le besoin en conseils et en formation. Véritable courroie de transmission entre les femmes entrepreneures et les experts sur le terrain, Entreprendre ici propose un parcours entrepreneurial qui permet de référer ces femmes à des organismes partenaires de l’écosystème entrepreneurial québécois afin de leur offrir par exemple des heures de formation gratuites.

Démystification par des retours d’expériences : avantages et inconvénients de ce mode d’exploitation.

Trois dirigeant.e.s, trois parcours différents, mais une constance dans leurs témoignages, à savoir que tôt ou tard, tous les chemins mènent à l’incorporation.

Pour Karima-Catherine Goundiam, l’incorporation s’est faite en 2017, soit deux ans après le démarrage de ses activités et avec l’aide d’un avocat. Ne sachant pas au début quelle serait la trajectoire de son entreprise, elle avait opté de commencer en tant que travailleuse autonome. Toutefois, la croissance rapide de ses activités, tant au niveau national qu’à l’international, l’a poussée à se constituer en société par actions. Certes, les états comptables de ce mode d’exploitation sont plus complexes et la gestion plus lourde et coûteuse, mais elle y voit des avantages multiples dont la crédibilité, la simplification des démarches de demandes de prêts et de financement ainsi que la possibilité de réinvestir ses profits dans ses activités. Unique actionnaire de son entreprise, Karima-Catherine Goundiam conseille d’ailleurs de s’armer de bons avocats pour éviter des problèmes tels que des refus de paiement ou pour se préparer aux pourparlers avec des investisseurs.

Pour Julie Hubert, le grand saut pour l’incorporation en 2011 s’est fait rapidement et a été motivé par le besoin d’assurer sa protection personnelle en se détachant de son entreprise sur les plans juridique et financiers. Élevée par des parents travailleurs autonomes dont le travail avait une grande emprise sur leurs vies, elle a voulu a contrario constituer une structure viable et qui pourrait continuer à croître même lorsqu’elle ne serait plus aux commandes. Autodidacte, elle a effectué ses démarches d’incorporation au niveau fédéral. Autre avantage important et qu’elle a su tirer profit très tôt, l’accès facilité à certains programmes gouvernementaux de financement.

Le désir d’assurer sa protection personnelle, de ses biens et de sa famille, se retrouve également dans les propos de Salamane Yaméogo. Juriste de formation, il était fondamental pour lui de constituer sa société en une entité distincte régie par ses propres droits et devoirs. L’autre principal avantage qui l’a fait opter dès le départ pour une incorporation est l’image de sérieux et de professionnalisme véhiculée par une société par actions, bien utile, selon lui, lorsqu’on entame des démarches de subventions ou de prêt.

En conclusion : doit-on faciliter l’incorporation pour les femmes entrepreneures ? Si oui, comment ?

Après une séance de questions/réponses, les panélistes ont tour à tour partagé leurs avis sur la question. Ce fut un oui unanime, avec quelques nuances :

  • Pour Stéphanie Brouillard, le Québec est une plaque tournante pour les petites et moyennes entreprises. Même si le processus d’incorporation gagnerait à être davantage simplifié, des ressources pour faciliter l’incorporation existent et les cabinets comptables et d’avocats ont des programmes spéciaux pour les petites entreprises.
  • Yen Bui ajoute que très souvent les entrepreneures délaissent le statut de travailleuses autonomes au profit de l’incorporation lorsqu’elles commencent à exercer leurs fonctions à temps plein.
  • Jacqueline Bazompora estime que s’incorporer n’est pas difficile si on est bien organisé. Cependant, la diminution des coûts et des honoraires des avocats et autres consultants, couplée à la réduction de la lourdeur administrative, aiderait fortement les entrepreneures.
  • Payam Eslami mise plutôt sur l’éducation et la formation des entrepreneures pour démystifier l’incorporation. Il faudrait également, selon lui, leur apporter une meilleure connaissance de l’écosystème entrepreneurial afin qu’elles sachent où chercher et trouver l’information.
  • Karima-Catherine Goundiam se dit chanceuse d’entreprendre au Canada. Certes incorporer nécessite des coûts, mais si on est experte dans un domaine précis, on ne peut pas l’être en tout. Il faut donc, selon elle, accepter de payer des experts pour nous accompagner dans nos démarches. En revanche, les programmes gouvernementaux gagneraient en transparence car contrairement à ce que leurs communications laisseraient à penser, ces programmes ne sont pas ouverts à tous.
  • Julie Hubert quant à elle lance un appel pour la mise en place d’un programme gouvernemental ou offert par des cabinets comptables pour aider les petites entreprises en démarrage à faibles revenus.
  • Pour conclure, Salamane Yaméogo encourage le gouvernement à continuer de soutenir des initiatives comme celle-ci. Outre les webinaires, il appartient aux entrepreneures d’aller chercher l’information. D’ailleurs, comme l’a rappelé Tania Saba, le Portail de connaissances pour les femmes en entrepreneuriat met à la disposition des femmes entrepreneures une liste d’organismes de soutien.

Vous pouvez retrouver l’enregistrement du webinaire en cliquant ici.