Franchir les obstacles : les entrepreneures autochtones et la force de la communauté

Dans le cadre de la sortie d’un nouveau rapport publié par le Portail de connaissances pour les femmes en entrepreneuriat (PCFE) et le Conseil canadien pour le commerce autochtone (CCCA), nous avons invité des entrepreneures autochtones, des piliers de leur communauté, à livrer leur témoignage sur leur activité, qu’elles impriment leur marque dans le secteur de l’aviation ou aident des milliers de personnes à se sentir bien dans leur peau.

Une image sur laquelle figure une plume rouge, surmontée d’une autre plume dessinée au trait, chaque trait relié au suivant par un point bleu, ainsi qu’un texte indiquant « Franchir les obstacles : Une décennie d’entrepreneuriat féminin autochtone au Canada »

Le rapport Franchir les obstacles : Une décennie d’entrepreneuriat féminin autochtone au Canada explore les données issues d’enquêtes sur l’entrepreneuriat autochtone menées par le CCCA ces dix dernières années. Teara Fraser (directrice générale et fondatrice d’Iskwew Air), Jenn Harper (directrice générale de Cheekbone Beauty), Patrice Mousseau (directrice générale et fondatrice de Satya Organic Skin Care) et Ashley Richard (coordonnatrice du partenariat avec les Autochtones pour le PCFE) ont rejoint Shannon Pestun, conseillère principale du PCFE concernant les services de financement et les services aux entreprises et animatrice du webinaire pour échanger sur le rapport et retracer leur expérience d’entrepreneures autochtones. Tabatha Bull, présidente et directrice générale du CCCA s’est jointe à la discussion pour conclure le webinaire.

Cette nouvelle étude est fondamentale, car elle dresse un tableau précis des entreprises détenues par des femmes autochtones et met en lumière les difficultés spécifiques auxquelles ces dernières doivent faire face. Elle permet également de mieux comprendre la mesure dans laquelle les femmes autochtones tirent parti des connaissances traditionnelles et des expressions culturelles traditionnelles dans le cadre de leur activité entrepreneuriale.

Pour amorcer la discussion, Samantha Morton et Kaira Jakobsh du CCCA ont présenté les points clés du rapport. Les entreprises détenues par des femmes autochtones sont généralement de taille plus modeste que celles détenues par des hommes autochtones. Pour autant, les premières sont plus enclines à employer des Autochtones, et elles sont par ailleurs plus nombreuses à faire exclusivement appel à des employés autochtones. La proportion des entreprises autochtones comptant des employés a augmenté de manière considérable au fil du temps et a presque doublé au cours de la dernière décennie (23 p. 100 en 2010 contre 42 p. 100 en 2019). On note également une hausse du nombre d’entreprises détenues par des femmes autochtones qui sont constituées en personne morale, et une augmentation de celles ayant généré un chiffre d’affaires d’un million de dollars. Il convient d’ajouter que parmi les chefs d’entreprise autochtones, les femmes exportent plus souvent que les hommes leurs produits et services aux États-Unis. Elles intègrent également plus fréquemment que ces derniers les connaissances traditionnelles ou les expressions culturelles traditionnelles à leur entreprise.

Malgré ces avancées notables, les entrepreneures autochtones se heurtent encore à certains obstacles structurels majeurs en matière d’accès au financement, aux réseaux, aux ressources vitales pour leur entreprise et aux infrastructures numériques. La pandémie de COVID-19 a amplifié ces problèmes et engendré des répercussions plus marquées sur l’activité des femmes entrepreneures autochtones. Celles-ci ont plus souvent ressenti des effets « très négatifs » pendant cette pandémie et leurs entreprises ont enregistré une baisse dramatique de leur chiffre d’affaires, qui a parfois chuté de plus de 50 p. 100. La plupart des entrepreneures autochtones évoluent dans le secteur tertiaire et sont donc d’autant plus susceptibles de faire l’objet d’une fermeture obligatoire et d’être assujetties à d’autres restrictions à visée sanitaire.

Ce rapport formule une série de recommandations dans l’optique d’instaurer un écosystème plus inclusif et de soutenir les ambitions économiques et sociales des femmes autochtones. Il souligne en outre l’importance de tenir compte de la diversité et des différences entre les sexes dans la recherche et la mise en place de solutions.

« Les femmes entrepreneures autochtones doivent faire preuve d’une force exceptionnelle pour relever des défis qui leur sont propres ; il est donc primordial que la recherche et les programmes soient menés et conçus en conséquence », estime Samantha Morton (traduction libre).

Des femmes entrepreneures autochtones aux commandes

Capture d’écran montrant Ashley Richard, Jenn Harper, Teara Fraser, Shannon Pestun, Patrice Mousseau et Tabatha Bull pendant le webinaire organisé sur Zoom. Shannon Pestun a la parole

Selon Shannon Pestun, « parce qu’elles en ont fait l’expérience, [les] participantes savent mieux que quiconque ce que signifie franchir les obstacles. » (traduction libre)

Au début de la discussion, Ashley Richard a relevé que le rapport était sans équivoque : les entrepreneures autochtones sont créatrices d’emplois et d’occasions de formation qui bénéficient aux communautés dans lesquelles elles vivent et travaillent. Plus il y aura d’entrepreneures autochtones, plus les autres femmes et les jeunes filles autochtones auront des exemples dont elles pourront s’inspirer et qui les inciteront à s’engager dans l’entrepreneuriat. Il faut aussi savoir que les entrepreneures autochtones contribuent largement à la préservation des cultures autochtones, car elles intègrent les connaissances et les expressions culturelles traditionnelles dans leurs activités.

« C’est une véritable force. Soutenir les femmes autochtones, c’est certes dynamiser le paysage économique canadien dans son ensemble, mais c’est aussi préserver la culture autochtone », analyse Ashley Richard (traduction libre).

Les participantes au webinaire illustrent d’ailleurs parfaitement ce constat! Teara Fraser a ainsi choisi d’intégrer le mot « iskwew », qui signifie « femme » en cri, au nom de son entreprise. Ce choix est pour elle un acte de revendication : « Ce nom est l’étendard de la langue, d’un leadership matriarcal et de la féminité ». Iskwew Air a mis en place des protocoles pour honorer et célébrer les territoires que la société dessert et travaille main dans la main avec les communautés autochtones locales.

La langue autochtone fait également partie intégrante des entreprises de Jenn Harper et de Patrice Mousseau, qui s’attachent à concilier écologie et économie, et à axer leurs activités autour de méthodes traditionnelles. Cheekbone Beauty a ainsi emprunté à la langue autochtone le nom de ses produits, à l’image des rouges à lèvres « Askîhk » et « Kéyah ». Par ce choix, l’entreprise contribue à éclairer le sens de ces mots et à mettre en avant les langues autochtones. Le mot « Satya » signifie quant à lui « trouver la vérité ».

Les faits le confirment : tous les entrepreneurs ont des difficultés à trouver un financement au moment de leur démarrage, et ce constat est d’autant plus vrai pour les femmes autochtones. Pendant trois ans, en parallèle de son emploi à plein temps, Jenn Harper a travaillé d’arrache-pied pour créer Cheekbone Beauty avant de se tourner vers d’autres sources de financement. Elle a mis cette période à profit pour perfectionner ses compétences en entrepreneuriat et démontrer le potentiel de son entreprise.

Pour Teara Fraser et Patrice Mousseau, il est important d’établir une relation privilégiée avec un investisseur au moment de la recherche de financements. Patrice Mousseau conseille aux entrepreneurs en démarrage de s’orienter vers les caisses populaires locales plutôt que de s’adresser aux institutions financières traditionnelles. Teara Fraser doit quant à elle une partie de sa réussite à la communauté SheEO, qui offre aux femmes entrepreneures la possibilité de bénéficier de solutions de financement établies selon leurs propres conditions.

 « Dans cette course, il est évident que nous partons avec un handicap que n’a pas l’entrepreneur blanc moyen. Il nous faut admettre que nous avons besoin de soutien pour nous alléger de cette charge et pour que nous puissions enfin faire jeu égal et mettre en avant les formidables projets et les extraordinaires innovations portés par les Autochtones, notamment les femmes. » (traduction libre)

La pandémie de COVID-19 a failli compromettre tous ces efforts. « À un certain point, je me suis demandé si je serais capable de m’en sortir », se souvient Teara Fraser (traduction libre). Mais elle a rapidement repris en main l’avenir d’Iskwew Air et a maintenu son activité pendant la crise pour aider au mieux les communautés autochtones. Elle a mené avec succès la campagne de financement participatif AirLIFT en parallèle du projet Indigenous LIFT Collective, qui avait pour but de livrer par avion des biens de première nécessité et du matériel aux communautés autochtones de la Colombie-Britannique.

Patrice Mousseau comme Jenn Harper ont rencontré des difficultés d’approvisionnement qui ont sérieusement affecté leur activité. L’arrêt de la cueillette des fleurs de souci, qui entrent dans la composition des cosmétiques de Satya Organic, a ainsi entraîné une flambée du prix des fleurs sur le marché. De son côté, Jenn Harper a dû se résoudre à reporter le lancement de son nouveau produit après l’arrêt des activités d’un fournisseur. Les deux entrepreneures n’ont eu d’autre choix que de faire preuve de souplesse; il leur a fallu s’adapter à ces bouleversements pour répondre aux nouvelles attentes du marché et des clientes, désormais contraintes de porter un masque et de se laver plus fréquemment les mains.

Les participantes ont rappelé à quel point le soutien de la communauté et la mobilisation collective étaient essentiels à la réussite des entrepreneures autochtones, avant d’évoquer leurs attentes pour l’avenir.

« Je suis déterminée à tout mettre en œuvre pour que chaque femme autochtone, chaque jeune autochtone comprenne que sa contribution est vitale, que son projet ou ses idées, quels qu’ils soient, ont du potentiel, et à leur donner les moyens de réaliser leur rêve. Beaucoup de personnes sont prêtes à leur tendre la main, à les accompagner et à les guider », s’enthousiasme Jenn Harper.

Patrice Mousseau est animée de la même volonté : « Nous ne pouvons pas tout assumer seules. Nous devons nous libérer de cette culpabilité que nous ressentons lorsque nous faisons appel aux autres. Pour réussir, pour parvenir à faire preuve de bienveillance envers nous-mêmes, à nous sentir complètes et heureuses, il nous faut nous entourer de la communauté. »

Pour conclure, Ashley Richard a expliqué que pour bâtir un écosystème d’innovation inclusif, il est nécessaire de prendre en compte les femmes autochtones. « Elles connaissent les besoins et les attentes de leurs communautés; il faut à présent leur donner les moyens de mettre leurs idées en œuvre. »

En savoir plus

Visionnez la vidéo du webinaire pour en savoir plus sur le rapport Franchir les obstacles : Une décennie d’entrepreneuriat féminin autochtone au Canada et découvrir les autres conseils livrés par nos participantes.

Téléchargez le rapport et découvrez notre campagne S’inspirer. Se réaliser., qui met à l’honneur des femmes entrepreneures inspirantes comme Teara Fraser, Jenn Harper et Patrice Mousseau pour briser les stéréotypes sur l’entrepreneuriat qui entravent le parcours des femmes issues de la diversité.

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