Les droits de douane imposés par les États-Unis : de nouveaux défis et des opportunités à saisir pour les femmes entrepreneures au Canada

Écran partagé montrant une femme lors d'une réunion virtuelle à côté d’un nuage de mots en anglais centré sur « incertitude », avec des termes comme « coût supplémentaire », « confusion » et « baisse des ventes »
Dre Wendy Cukier, fondatrice et directrice académique du Diversity Institute et directrice académique du Portail de Connaissances pour les Femmes en Entrepreneuriat (PCFE)

Commerce, droits de douane et turbulences : les femmes entrepreneures face à l’incertitude économique dans un paysage mondial en mutation

Le 26 mars, la Dre Wendy Cukier, fondatrice et directrice académique du Diversity Institute et directrice académique du Portail de Connaissances pour les Femmes en Entrepreneuriat (PCFE), a participé à un panel composé d’expertes en recherche sur l’entrepreneuriat, en politiques publiques et en exportation. Parmi les autres panélistes figuraient Marwa Abdou, directrice principale de la recherche à la Chambre de commerce du Canada, Chelsea Sang, responsable des services-conseils chez Export Navigator, et Leah Gilbert Morris, représentante d’Exportation et Développement Canada (EDC). Le forum, organisé par l’un des 250 partenaires de l’écosystème du PCFE, la Women’s Enterprise Organizations of Canada (WEOC), s’est tenu en format virtuel et a rassemblé plus de 170 participantes et participants. L’événement a permis d’explorer les répercussions des tensions commerciales mondiales croissantes et des droits de douane actuels et potentiels imposés par les États-Unis sur les exportations canadiennes, en particulier sur les femmes entrepreneures à travers le pays.

Les femmes entrepreneures se préparent aux répercussions des droits de douane

Les droits de douane actuels de 25 % imposés par les États-Unis sur certains produits canadiens, ainsi que les contre-mesures tarifaires du Canada, combinés à la possibilité de nouveaux droits à venir, ont accru l’incertitude pour les petites et moyennes entreprises (PME) canadiennes à travers le pays. Pour les femmes entrepreneures, les conséquences pourraient être particulièrement dommageables.

« Les droits de douane provoquent des effets en cascade qui touchent tout, de la chaîne d’approvisionnement aux stratégies de tarification, en passant par la confiance des consommateurs », a expliqué la Dre Cukier. « Mais au-delà des enjeux économiques, les femmes portent également le fardeau mental et émotionnel lié à cette instabilité prolongée. »

Bien que les entreprises appartenant à des femmes soient moins susceptibles d’exporter directement vers les États-Unis, elles demeurent vulnérables aux répercussions indirectes, telles que l’augmentation des coûts, la diminution de l’accès au capital et la réduction des marges bénéficiaires. La Dre Cukier a souligné que de nombreuses femmes entrepreneures sont fortement représentées dans des secteurs comme le commerce de détail, les services, ainsi que la santé et la beauté,  des industries particulièrement exposées aux perturbations de la chaîne d’approvisionnement et à la volatilité des marchés.

« Différents segments de l’écosystème entrepreneurial féminin sont touchés de manière plus aiguë que d’autres, » a-t-elle précisé. « Si de nombreuses entreprises dirigées par des femmes ont été incitées à exporter, notamment vers les États-Unis, l’introduction de nouveaux droits de douane engendre maintenant de graves perturbations. Les entreprises desservant des marchés de niche, comme celles offrant des produits et services adaptés aux communautés noires, sont particulièrement touchées. »

La Dre Cukier a également mis en lumière des occasions encore inexploitées. « En période de crise, il existe des opportunités. Une écrasante majorité de Canadiennes et Canadiens, soit 85 %, affirme désormais vouloir se tourner vers des options canadiennes. » Tout en reconnaissant la gravité des défis à venir, Cukier a exprimé sa confiance dans la résilience des femmes entrepreneures. Avec les bons soutiens intégrés et des actions stratégiques d’organisations comme Exportation et développement Canada (EDC), elle pense que les entreprises dirigées par des femmes peuvent non seulement survivre, mais prospérer.

Des stratégies inclusives et tournées vers l’avenir sont nécessaires

La Dre Cukier a proposé plusieurs stratégies pour soutenir les femmes et autres entrepreneures issues de la diversité en cette période d’incertitude. Elle a exhorté les décideurs politiques à adopter une approche plus inclusive et fondée sur des données probantes afin d’appuyer les femmes entrepreneures, en particulier celles qui sont travailleuses autonomes et issues de communautés diversifiées.

Elle a également mis en lumière un point crucial, souvent négligé : la structure de l’entrepreneuriat féminin au Canada est très différente de celle des hommes. Alors que les femmes détiennent environ 20 % des entreprises constituées en société, soit environ 110 000 entreprises, elles représentent 40 % des travailleurs et travailleuses autonomes au Canada, soit près d’un million de personnes. « Si vous ne comptez que les PME, vous passez à côté de 80 % des femmes entrepreneures », a-t-elle souligné. Cet écart structurel a des répercussions importantes sur la manière dont les programmes de soutien doivent être conçus et mis en œuvre.

Vulnérabilité des entrepreneures indépendantes

Les femmes entrepreneures indépendantes, souvent entrepreneures individuelles ou propriétaires de microentreprises, ont généralement un accès limité au financement et aux soutiens structurels. La Dre Cukier a souligné que nombreuses sont celles qui demeurent non constituées en société en raison d’une combinaison de barrières systémiques et de contraintes individuelles, ce qui les rend plus vulnérables aux chocs économiques, tels que les perturbations du commerce international.

Cukier propose une approche à double volet : continuer à soutenir les PME appartenant à des femmes, tout en mettant en place une infrastructure destinée à appuyer les entrepreneures indépendantes. « Encourager la constitution en société lorsque cela est pertinent est important, » a déclaré Cukier, « mais il est tout aussi essentiel de veiller à ce que les soutiens ne soient pas limités aux entreprises déjà incorporées ou formellement structurées. »

Tirer les leçons de la pandémie de COVID-19

En revenant sur les lacunes et les réussites des mesures de soutien mises en place lors d’une période comparable de perturbation économique, la pandémie de COVID-19, la Dre Cukier a souligné que de nombreux programmes d’aide d’urgence avaient été conçus selon des modèles d’affaires dominés par les hommes, écartant involontairement les femmes entrepreneures. Elle a insisté sur la nécessité de mettre en place des programmes qui tiennent compte du travail non rémunéré de soins, de l’accès aux ressources en santé mentale, ainsi que de soutiens financiers flexibles comme les allégements fiscaux et les prêts pardonnables.

Le Canada doit éviter de répéter les erreurs commises pendant la pandémie. « Les solutions axées sur l’endettement ont enrichi les banques, mais n’ont pas aidé de nombreuses femmes entrepreneures, notamment celles qui ne pouvaient pas assumer de dettes supplémentaires, » a-t-elle déclaré. Elle a plutôt plaidé en faveur de soutiens plus accessibles et durables, incluant du financement sous forme de subventions, des incitatifs fiscaux ciblés, et des programmes simplifiés à faible barrière comme les microprêts.

La Dre Cukier a également rappelé que l’aide financière seule ne suffit pas. « L’accès à la clientèle est tout aussi important que l’accès au capital », soulignant l’importance de programmes d’approvisionnement inclusifs et d’incitatifs à la consommation locale favorisant les entreprises détenues par des femmes. Elle a salué l’engagement continu envers un programme national de services de garde d’enfants, qu’elle considère non seulement comme une question liée aux femmes, mais comme une véritable stratégie économique. « Nous devons traiter les soins personnels, la santé mentale et les services de garde comme des piliers centraux de la résilience économique. »

Mobiliser le capital et accéder à de nouveaux marchés au-delà des États-Unis

La Dre Cukier a averti que le climat d’investissement actuel, notamment le ralentissement du financement en provenance des États-Unis dans des secteurs comme la technologie et la femtech, exige des efforts intentionnels pour mobiliser le capital au sein même du Canada. « Nous savons que le capital est là », a-t-elle affirmé. « Il faut des approches stratégiques pour le relier aux femmes entrepreneures. »

Chelsea Sang a décrit deux grandes stratégies d’adaptation qui émergent chez les entrepreneures. Certaines choisissent de se retirer temporairement de leurs activités aux États-Unis en raison de l’incertitude. D’autres diversifient activement leur clientèle ou mettent en place des opérations transfrontalières afin d’atténuer les risques. Des services de conseil gratuits comme Export Navigator jouent un rôle clé pour accompagner les entreprises dans cette transition.

Elle a également souligné l’utilité du Service des délégués commerciaux du Canada et l’importance des accords commerciaux existants, qui reflètent l’approche pangouvernementale unique du Canada en matière d’entrepreneuriat féminin. Le Canada dispose d’accords commerciaux sensibles au genre, qui accordent aux entreprises détenues par des femmes un espace, et dans certains cas, un accès préférentiel en matière d’approvisionnement public. Elle a appelé à poursuivre l’élargissement de la politique commerciale canadienne au-delà du marché américain. Selon elle, les femmes entrepreneures sont déjà plus susceptibles que les hommes d’exporter vers des marchés hors des États-Unis. Elle a également encouragé un plus grand recours au réseau de la diaspora immigrante du Canada pour ouvrir des portes à l’international. Les connaissances locales, a-t-elle souligné, sont essentielles pour bâtir des chaînes d’approvisionnement et des réseaux de clients à l’échelle mondiale.

Technologie et avenir de l’entrepreneuriat féminin

L’ensemble des panélistes ont abordé des stratégies de résilience reposant sur la transformation numérique, en particulier l’intelligence artificielle (IA), qu’elles jugent essentielles pour soutenir les femmes entrepreneures. Dans un contexte économique incertain, la Dre Cukier a présenté la transformation numérique comme un élément porteur d’espoir. Bien que les femmes aient historiquement adopté les technologies émergentes, comme l’intelligence artificielle, à un rythme plus lent, cet écart est en train de se réduire. « L’IA générative est la revanche des diplômées en lettres », a-t-elle lancé, soulignant l’opportunité pour les femmes d’accroître leur efficacité et d’innover sans avoir besoin d’une expertise approfondie en programmation. Tout en encourageant l’investissement dans la préparation numérique, Cukier a également mis en avant le potentiel démocratisant de l’intelligence artificielle : « L’IA n’est plus réservée aux programmeurs. Les outils d’IA peuvent aider les entrepreneures à optimiser leurs opérations, automatiser des tâches et identifier de nouvelles pistes de croissance ou de diversification. »

Une stratégie pancanadienne

Enfin, la Dre Cukier a mis en garde contre des mesures de réponse limitées ou ciblant uniquement certains secteurs. « Les effets en cascade des droits de douane ne toucheront pas uniquement le secteur manufacturier. Ils auront également un impact sur le tourisme, la culture et les services », a-t-elle affirmé. Elle a appelé à l’élaboration d’une stratégie nationale holistique qui soutienne toutes les régions et tous les secteurs, en particulier les communautés autochtones et sous-représentées.

Alors que le Canada tente de gérer les retombées des tensions commerciales, le message de la Dre Cukier est clair : les femmes entrepreneures, en particulier celles qui sont souvent exclues des définitions traditionnelles, doivent être au cœur de la réponse. Avec des stratégies appropriées, ce qui semble être une crise pourrait devenir une rampe de lancement vers un écosystème entrepreneurial plus inclusif et plus résilient. « Nous devons appliquer une analyse comparative entre les sexes à chaque étape de la relance », a déclaré la Dre Cukier. « Il ne s’agit pas uniquement d’un enjeu commercial. C’est un enjeu structurel. Et c’est un moment de vérité. »

La modératrice Leah Gilbert Morris a résumé l’appel à l’action : « Ne gaspillons pas cette crise. Passons d’une prudente régression à une réinvention stratégique. »

Pour clore l’événement, la directrice générale de WEOC, Alison Kirkland, a encouragé les participants à rester mobilisés. « Notre objectif est de faire en sorte que les femmes entrepreneures ne soient pas seulement consultées, mais qu’elles soient véritablement au cœur de la relance économique du Canada. »

Alors que les dynamiques du commerce mondial continuent d’évoluer, un message s’est imposé lors de ce forum : bâtir des systèmes inclusifs et résilients n’est pas une option, c’est une nécessité. Les femmes entrepreneures doivent être au centre de la stratégie canadienne pour assurer une croissance économique durable à long terme.