S’inspirer. Se réaliser. : célébrer les succès et surmonter les obstacles dans la communauté francophone
L’entrepreneuriat, une affaire d’hommes ?
Les présomptions sur l’identité d’un entrepreneur sont fortement ancrées dans nos sociétés et largement véhiculées par les médias, à tel point que lorsqu’on demande aux Canadiens de nommer trois entrepreneurs, ce sont généralement les noms de Steve Jobs, Bill Gates ou Mark Zuckerberg qui arrivent en tête de liste. Pourtant, partout dans le pays, les femmes entrepreneures ont un impact social avéré et participent pleinement au développement économique, et ce, dans tous les secteurs.
Au-delà des stéréotypes, les préjugés sexistes et culturels sur l’entrepreneuriat constituent de véritables obstacles pour les femmes. Outre le fait de déterminer la manière dont les programmes de financement, la formation et les incubateurs sont conçus, ils influent sur l’accès aux marchés, et surtout, nuisent aux aspirations et à la confiance en soi des femmes qui souhaitent créer une entreprise.
Afin de briser ces stéréotypes et inspirer les femmes à entreprendre, le Portail de connaissances pour les femmes en entrepreneuriat (PCFE) organise tout au long du mois de mars une série d’évènements dans le cadre de la conférence sur les femmes en entrepreneuriat 2021. Le 12 mars 2021 se tenait la cinquième session, en partenariat avec les Organisations d’entreprises de femmes du Canada (OEFC), représentées par Ruth Vachon, présidente-directrice générale du Réseau des Femmes d’affaires du Québec (RFAQ).
Cette conférence marquait également le lancement officiel de la base de données « S’inspirer. Se réaliser. » qui répertorie à ce jour plus de 1 000 femmes entrepreneures primées qui ont fait voler en éclats les stéréotypes. Comme le soulignait à juste titre Ruth Vachon en introduction, « la recherche nous confirme que les femmes ont vraiment besoin de voir des femmes entrepreneures couronnées de succès pour être capables de mieux se projeter, de s’engager dans cette même voie ». Établie sur la base d’un travail de recherche entrepris par le PCFE, la campagne « S’inspirer. Se réaliser. » est un levier qui répond à ces enjeux dans l’optique de servir aux chercheurs, aux décideurs, aux planificateurs d’évènements, aux bailleurs de fonds, aux investisseurs et à toute autre personne de l’écosystème susceptible de rechercher les meilleurs exemples d’entrepreneuriat féminin au Canada.
Tania Saba, fondatrice et titulaire de la Chaire BMO en diversité et gouvernance à l’Université de Montréal, et directrice du pôle Québec et communautés francophones du Canada au PCFE, a présenté les faits saillants de la recherche qui sont détaillés dans le rapport « S’inspirer. Se Réaliser. – Au-delà des stéréotypes » ainsi que les implications de cette campagne pour les femmes entrepreneures et l’écosystème les soutenant.
Les incidences des stéréotypes sur les femmes et l’écosystème les soutenant.
Les stéréotypes sont des préjugés qui associent certaines caractéristiques (positives ou négatives) à des groupes de personnes et qui sont souvent profondément ancrés dans notre culture.
Briser ces stéréotypes exige de déconstruire la culture entrepreneuriale qui reste encore fortement associée à des valeurs et à certains préjugés qui perpétuent l’existence de barrières systémiques auxquelles les femmes entrepreneures doivent faire face. Les effets biaisés et discriminatoires de ces barrières se font ressentir aussi bien au niveau sociétal, organisationnel, qu’individuel.
De la conception des programmes d’investissement à l’adoption de certains comportements individuels, les incidences des stéréotypes de genre et culturels sont multiples et bien réels.
- Incidence des stéréotypes sur la conception des programmes : alors que l’innovation réside dans l’utilisation des technologies plutôt que dans leur élaboration, les programmes d’investissement privilégient les secteurs fortement technologiques où les femmes sont moins présentes.
- Incidence des stéréotypes sur le financement : réputées avoir une aversion pour le risque et craindre l’échec, les femmes continuent à pâtir des stéréotypes qui érigent autant d’obstacles à l’obtention de financement auprès d’investisseurs et autres acteurs financiers. Pire encore, elles intériorisent et anticipent ces stéréotypes négatifs à tel point qu’elles se réfrènent d’aller demander du financement même si elles en ont besoin.
- Incidence des stéréotypes sur le soutien aux entreprises : contrairement à leurs homologues masculins, les femmes entrepreneures sont très peu soutenues par les incubateurs et les accélérateurs et ont plutôt tendance à y avoir recours en période de prédémarrage.
- Incidence des stéréotypes sur les femmes : l’absence de modèles inspirants fait que les femmes se lancent tardivement dans l’entrepreneuriat.
Parmi les pistes de recommandations évoquées pour combattre les préjugés et les stéréotypes, on retient notamment :
- Au niveau sociétal : la nécessité de mettre en lumière des modèles inspirants de réussite divers et variés. D’ailleurs, la base de données « S’inspirer. Se réaliser. » présentée par Sabine Soumare, directrice du marketing et des communications de la Ted Rogers School of Management, Diversity Institute, est une excellente ressource qui ne demande qu’à être alimentée de profils inspirants et à être partagée par tous pour inspirer le plus grand nombre.
- Au niveau organisationnel : le besoin de renforcer le réseau et l’entraide.
- Au niveau individuel : l’importance de promouvoir l’entrepreneuriat comme un choix de carrière.
À la rencontre de celles qui ont osé briser les stéréotypes.
Animées par Anne-Marie Hubert, associée-directrice pour l’est du Canada à EY Canada, les discussions ont permis d’apprendre à mieux connaître trois femmes d’affaires francophones inspirées et inspirantes qui ont osé entreprendre. C’est à cœur ouvert que Danièle Henkel, présidente de DanieleHenkel.tv, Amina Gerba, présidente du conseil d’administration d’Entreprendre ici et présidente fondatrice du Forum Afrique Expansion et Mélanie Paul, présidente d’Inukshuk Synergie et coprésidente d’Akua Nature se sont livrées sur leurs parcours, leurs sources inspirations et ont partagé des conseils pour inspirer d’autres femmes entrepreneures.
Les inspirations qui leur ont permis de se réaliser.
À la question de savoir ce qui les a inspirées, nos trois conférencières partagent un point commun : elles puisent leurs sources d’inspiration auprès des membres de leurs familles qui leur ont très tôt transmis des valeurs qui font d’elles les femmes d’affaires humanistes qu’elles sont aujourd’hui.
Le premier modèle d’inspiration de Mélanie Paul était masculin puisqu’il s’agissait de son père, lui-même homme d’affaires. De celui-ci, Mélanie Paul a hérité cette volonté d’aider sa communauté et de créer des ponts avec les autres, tout en trouvant sa propre voie au fil de son parcours entrepreneurial et des découvertes d’autres profils d’entrepreneurs. Danièle Henkel quant à elle provient d’une lignée de femmes fortes. Née dans une famille matriarcale, c’est sa mère, brillante femme d’affaires, qui l’a très tôt inspirée en lui inculquant sa générosité, l’attachement à la famille et aux racines, l’importance de l’autonomisation des femmes et le savoir-être. Tout comme Danièle Henkel, Amina Gerba a été inspirée par une femme d’affaires féministe talentueuse. Le destin de cette avant-dernière enfant d’une fratrie de 19 enfants a pris un tout autre virage lorsque sa cousine est venue la chercher chez ses parents, lui permettant ainsi d’aller à l’école. Outre sa cousine, Oprah Winfrey est également une source d’inspiration pour Amina Gerba qui se reconnaît dans son parcours de jeune mère devenue une brillante femme d’affaires. À l’instar d’Oprah Winfrey, Amina Gerba a créé une fondation pour aider les jeunes filles. Elle a également construit une école dans son Cameroun natal « pour inspirer et donner la chance aux jeunes filles ».
Le rôle joué par les réseaux dans la progression de leurs parcours.
Évoluer dans des réseaux était une évidence pour Mélanie Paul. « Pour les Premières Nations, le modèle holistique, le modèle de travailler ensemble, le modèle communautaire, fait partie de nos racines, de notre façon de réfléchir, de penser. On ne peut pas travailler l’un sans l’autre. ». Elle ajoute d’ailleurs qu’elle a choisi son nom d’entreprise « Inukshuk parce que chacune des pierres se supporte l’une et l’autre et pour moi ça représente autant mes employés que les gens avec qui je travaille, que les communautés. Donc, vraiment ça fait partie de notre philosophie d’entreprise. ». Acquise très tôt au modèle d’affaires basé sur les partenariats grâce à son père qui était très impliqué dans la communauté et la région, c’est donc tout naturellement que les réseaux ont joué un rôle important dans son parcours, lui permettant ainsi de naviguer à travers différents réseaux. « On n’a jamais eu de concurrent, pour nous les gens ont toujours été des collaborateurs. » ajoute-t-elle.
Pour Danièle Henkel le réseau ne se limite pas aux chambres de commerce et autres réseaux d’affaires. « Chaque personne que j’ai rencontré au cours de ma vie a joué un rôle. » Puis elle ajoute qu’il faut « écouter, être ouvert à la différence car on ne sait jamais qui va nous ouvrir une porte ». En définitive, le réseau est l’ensemble des êtres humains qui croisent notre chemin. Il s’entretient, exige d’aller vers l’autre, d’écouter, d’engager la conversation et de faire preuve de générosité pour recevoir en retour, en donnant par exemple bénévolement de son temps.
Même son de cloche pour Amina Gerba qui incite vivement les femmes entrepreneures à sortir de leur zone de confort pour aller vers les autres, d’autant plus si elles sont immigrées ou des personnes racialisées. Pour Amina Gerba, il faut être présent dans les chambres de commerce, rencontrer les gens. C’est d’ailleurs comme cela qu’elle a rencontré des journalistes qui ont par la suite raconté son histoire, mais aussi des mentors et des gens qui lui ont permis de croître ses activités et d’avoir des contrats.
Toutes trois s’accordent sur le fait qu’entretenir un réseau nécessite de faire un effort pour aller vers des personnes qui ne nous ressemblent pas. « On a créé en tant que société des barrières physiques, géographiques qui deviennent des barrières psychologiques. On se confine dans des segments alors qu’on devrait être ouvert. » conclue Mélanie Paul.
De précieux conseils pour inspirer d’autres femmes à se réaliser.
Sortir de sa zone est un leitmotiv auquel Amina Gerba croit fortement pour l’avoir expérimenté elle-même dans son propre parcours. Elle conseille aux femmes entrepreneures d’aller vers les autres, notamment là où on ne les attend pas, d’asseoir leurs images de marque et de se faire connaître. Mélanie Paul ajoute que pour réussir en affaires, il faut savoir demander de l’aide, se concentrer sur ses forces et savoir aller chercher les personnes qui ont des forces complémentaires aux nôtres. Tout comme Amina Gerba, elle invite les femmes entrepreneures à sortir de leur zone de confort et les incite à oser faire les choses différemment. Enfin, Danièle Henkel souligne qu’il faut « apprendre à prendre et apprendre à redonner ». Demander de l’aide, certes, mais savoir aussi donner en retour. Un principe de générosité radicale que les femmes entrepreneures peuvent d’ailleurs exercer sur la plateforme de partage, initiative de SheEO et conçue par le PCFE et le Forum for Women Entrepreneurs (FWE). Mais surtout, Danièle Henkel estime qu’en tant que femme entrepreneure, il faut savoir ce qu’on vaut, en être fière et s’inspirer d’abord de soi-même avant de s’inspirer des autres.
C’est sur ces précieux conseils que Marie-Chantale Lortie, chef des partenariats à la BDC, conclue cette importante discussion en soulignant trois points qui résument parfaitement cette conférence qui mettait l’accent sur la nécessité de rendre visible les femmes entrepreneures. Pour cela, il est nécessaire :
- De ne pas sous-estimer l’importance de l’inspiration et notre capacité à inspirer les autres.
- De sortir de notre zone de confort pour aller au-delà de nos réseaux habituels.
- D’oser tout simplement… oser inspirer, oser réseauter, oser être ensemble,… Bref, oser entreprendre !
Vous pouvez voir ou revoir la conférence dans son intégralité en cliquant ici.